Un avis cinglant du sénat sur les politiques éducatives actuelles
Scolarisation dès 3 ans, école inclusive, réforme du lycée et attractivité du métier d’enseignant : tels sont les quatre grands domaines sur lesquels les sénateurs de la commission culture, éducation et communication ont ardemment travaillé ces derniers mois dans l’optique de dresser le bilan de cinq années de politiques éducatives. Et le tableau s’avère plus sombre que brillant du fait, selon les sénateurs, d’une certaine précipitation à lancer les réformes sans véritable accompagnement, ajouté à cela une communication défaillante qui a conduit à une relation fortement « dégradée » entre le ministre et les personnels de l’Éducation nationale.
Pour les rapporteur.es de la commission, si l’abaissement de l’âge d’instruction à 3 ans ne fait que « suivre un mouvement ancien de société », en Guyane et à Mayotte, le taux de scolarisation des enfants de cet âge demeure encore problématique puisqu’il est de 78 % alors que la moyenne nationale est de 99,8 % à la rentrée 2020. De plus, les enseignants de maternelle n’ont pas été formés et accompagnés pour bien réaliser l’accueil des 3 ans, si ce n’est par la réalisation de deux guides largement insuffisants. « Au lieu de multiplier ces guides, qui limitent la liberté pédagogique des enseignants, les rapporteurs recommandent des efforts massifs en termes de formation initiale et continue », persifle le rapport sénatorial.
Un manque de 12200 ETP en primaire prioritaire
L’école inclusive est le second grand volet du rapport. Celui-ci rappelle en exergue les moyens alloués à cette politique : 3,5 milliards d’euros dans le budget national 2022, soit une hausse de 65 % sur le quinquennat, et un nombre d’AESH qui a augmenté de 33 %, gérés au sein des PIAL mis en œuvre à la rentrée 2021. Le rapport reconnait des conditions de recrutement qui se sont améliorées (CDI possible après deux CDD de trois ans, formation initiale de 60 heures). Néanmoins, les conditions d’exercice et de rémunération des AESH restent précaires alors qu’elles.ils « sont des acteurs essentiels du service public de l’école inclusive », ce qui incite les rapporteurs à préconiser « d’améliorer leurs perspectives et parcours de carrières ».
Le dédoublement des classes de grande section au CE1 en éducation prioritaire semble se poursuivre conformément aux prévisions (100 % des classes de CP et CE1 d’éducation prioritaire sont désormais dédoublées), ce qui n’induit malheureusement pas d’effets probants. « Le budget conséquent n’a pas permis une inversion franche des difficultés scolaires rencontrées par les élèves de REP et REP + », poursuit le rapport, qui pose également deux questions venant dans le prolongement de ce constat : 1) Cette réforme doit s’accompagner d’une vigilance toute particulière pour les classes de CE2 à CM2 : + 6 à 7 élèves par classe en CE2, du fait de la fin du dédoublement. 2) En avril 2019, le Président de la République a annoncé un plafonnement à 24 élèves des effectifs des classes de grande section au CE1 hors éducation prioritaire, en plus du dédoublement en éducation prioritaire. Ces deux mesures – dédoublement et plafonnement – nécessitent 19 300 emplois. Sur l’ensemble du quinquennat, seuls un peu plus de 7 000 ETP ont été créés. « La différence entre les moyens nécessaires et les ETP créés est de plus de 12 200 ETP », signalent les sénatrices et sénateurs, qui n’ont pas chiffré les besoins pour une transition réussie des élèves d’éducation prioritaire passant en CM1-CM2.
Orientation en lycée : le parent pauvre
Au chapitre de la réforme du lycée, les rapporteur.es font état d’un sentiment mitigé tant « élèves et enseignants ont l’impression de naviguer à vue » face à une « réforme mise en place de façon précipitée ». Le choix des options pose le problème d’un manque de visibilité des élèves qui ne connaissent pas les attendus de l’enseignement supérieur. L’orientation, pourtant « clé de voûte du nouveau système » demeure « le parent pauvre de l’Éducation nationale », se désolent encore les édiles du Sénat, qui notent que faute de moyens, de nombreux.ses lycéen.nes ne bénéficient pas de leurs 54 heures d’orientation annuelle. Ce qui « risque d’accroître les inégalités territoriales entre les lycées où ces heures peuvent se dérouler et les autres qui, faute de DHG suffisante, ne sont pas en mesure de les organiser », poursuit le rapport. Les lycées de petite taille seraient les plus en difficulté sur ce point.
A l’autre bout de la chaîne, l’enseignement supérieur devrait davantage se mobiliser afin de « prendre en compte la réforme du lycée », les sénatrices et sénateurs indiquant que « trop de filières sont dans une attitude attentiste ou estiment que le tronc commun suffit, allant à l’encontre de l’esprit de cette réforme ».
Revaloriser un métier peu attractif
Enfin, sur la question de l’attractivité du métier, les constats sont alarmants. Le rapport met en avant qu’un quart des enseignants se demandent s’ils n’auraient pas mieux fait de choisir une autre voie professionnelle que l’enseignement et que 75 % d’entre eux estiment que leur pouvoir d’achat s’est dégradé ces cinq dernières années (contre 56 % à l’ensemble de la fonction publique). La formation initiale est fortement décriée ; « trop peu de stages sont proposés par les rectorats » alors que la réforme visait à une meilleure professionnalisation des étudiant.es. Il y aurait là, selon le Sénat, une action insuffisamment volontariste de la part du ministère.
Quant à la revalorisation salariale en cours, elle est trop circonscrite aux débuts de carrière et la prime d’attractivité doit être élargie et bénéficier à 58 % des professeurs, CPE, Psy-EN. Au-delà des primes, les rapporteur.es préconisent une accélération des rendez-vous de carrière afin d’améliorer la rémunération des enseignants.
Des propositions pour les AESH
Parmi les 36 propositions du Sénat, le rapport cible plus particulièrement les élèves porteurs de handicap, l’école inclusive et les AESH en réclamant :
– que les PIAL assurent une couverture de territoires limités, tenant compte de la géographie, afin de limiter les temps de trajets entre établissements pour les AESH.
– que soit pris en compte le trouble dont souffre l’enfant, d’une part, et les formations et expériences de l’AESH, d’autre part, dans l’affectation de celui-ci.
– que soit renforcée la formation des AESH notamment dans le cadre de leur formation continue, en partant de leurs besoins.
– que soit augmentée la base semaine de calcul actuellement fixée à 41 semaines, afin d’améliorer la rémunération des AESH.
– qu’il faut encourager le recours à la mise à disposition, afin d’assurer un accompagnement de l’enfant pendant le temps périscolaire, dans le respect du droit du travail pour l’AESH.
– de réaliser au cours des années scolaires 2021-2022 et 2022-2023, les formations des enseignants
sur l’école inclusive prévues en 2019 et 2020, mais reportées pour cause de pandémie.
– d’assurer un continuum dans l’accueil des enfants en situation de handicap et augmenter les places dans les établissements médico-spécialisés.
L’UNSA Éducation ne peut que se féliciter des conclusions de cette commission sénatoriale qui formule de manière claire et raisonnée des constats et des préconisations déjà mis en avant et réitérés par les syndicats de notre fédération. Une école de qualité accessible à toutes et tous passe par des recrutements et des revalorisations salariales, insiste le Sénat, affirmation qui fait écho à nos revendications et au mouvement social intersyndical du 17 mars prochain.
Accéder au rapport sur http://www.senat.fr/commission/cult/index.html