DÉCLARATION DE L’UNSA-ÉDUCATION AU CSA DU 5 AVRIL 2024

Le CSA académique de Normandie s'est réuni le mardi 5 avril 2024 à Caen, l'occasion pour l'Unsa-Education de dénoncer les suppressions de postes et le "choc des savoirs", et en particulier la mise en œuvre à marche forcée des "groupes" de niveau...

Madame la Rectrice, mesdames et messieurs les membres du CSA

DES RETRAITS DE POSTE ET UNE ÉCOLE PUBLIQUE MALMENÉE

Ce CSA est réuni aujourd’hui pour examiner ce qu’on appelle pudiquement « l’évolution des emplois » pour la rentrée prochaine dans l’Académie de Normandie.  « Évolution des emplois », la formule est consacrée.  L’institution se plait également à parler de  « mesures de rééquilibrage ».   Personne n’est dupe, les emplois n’évoluent pas à la hausse et le rééquilibrage s’opère toujours vers le bas.

Nous avons déjà dit au mois de janvier, lors du CSA sur les moyens, tout le mal que nous pensons de ces suppressions de postes de professeurs, de CPE, de personnels administratifs et de personnels de direction.  Nous alertons depuis des années sur des situations inquiétantes, devenues aujourd’hui critiques : on songe ici particulièrement à la médecine scolaire en Normandie.  Nous ne cessons de rappeler l’urgence qu’il y a à mener une véritable politique de recrutement et de revalorisation de tous les personnels.

Sur le BOP 214, trois suppressions de postes administratifs auront lieu au Rectorat, au titre du redéploiement interacadémique.  Ce n’est pas acceptable : déshabiller les uns, en l’occurrence la Normandie, pour mal habiller les autres n’a jamais fait une bonne politique.  Il faut créer des emplois là où sont les besoins.  Notre syndicat A&I UNSA avait obtenu de haute lutte en 2019 que le ministère s’engage à pérenniser les moyens alloués à une académie toujours en construction. L’engagement a été tenu en 2020, 2021 et 2022.  Il aurait été utile de le poursuivre au-delà. La charge supplémentaire de travail due à la fusion n’est en effet toujours pas résorbée, et l’organisation plus complexe qui en résulte devrait être prise en compte dans les critères de répartition des moyens entre académies.  A cela s’ajoutent six suppressions prévues dans les EPLE de l’Académie (sur le BOP 141). Notre syndicat A&I UNSA regrette vivement l’absence d’évolution des propositions de suppressions depuis le groupe de travail du 15 mars dernier, à l’exception du collège Chartier de Mortagne au Perche, ce qui a au moins le mérite d’éviter une mesure de carte scolaire pour un agent.  Pour autant, une solidarité entre structures et catégories aurait dû être recherchée afin de partager l’effort et ne pas laisser tout retomber sur la seule filière administrative et les EPLE.

Dans l’immédiat, ces « évolutions d’emplois », ces « redéploiements » et ces « mesures de rééquilibrage » sont lourds de conséquences. Ils dégradent les conditions de travail des personnels et d’apprentissage des élèves.  Ils rendent nos métiers répulsifs.  Ils entretiennent et nourrissent une précarisation croissante des personnels, dans tous les sens du terme.

LE CAS DE LA TECHNOLOGIE

A ce titre, le problème des professeurs de technologie est édifiant. En Normandie, on dénombre pour cette discipline la suppression d’une soixantaine de supports, et 25 cartes scolaires.  Excusez du peu.  Des titulaires et des contractuels (parfois nombreux dans certains départements) sont affectés par ces décisions. Pourtant, il a fallu intervenir fermement dans plusieurs instances pour que l’on daigne enfin contacter et recevoir les collègues titulaires au rectorat.  Collègues à qui l’on offre des solutions très réduites.  Les ajustements internes aux établissements ne sont pas encouragés, alors que dans le même temps le ministère, confronté à des pénuries d’enseignants préconise dans ses notes RH des solutions aussi bancales qu’incertaines comme le détachement des Professeurs des Écoles, l’appel à des retraités ou à des contractuels.

Plus que jamais, et au-delà même des priorités affichées qui changent sans cesse,  les réformes nationales s’avèrent guidées par des impératifs économiques et des plans de communication, sans prise en compte des effets sur les personnels ou les élèves.

ET SI L’ON REGARDAIT DU CÔTÉ DU PRIVÉ SOUS CONTRAT ?

Pour l’Unsa-Education, il faut cesser de fragiliser l’École publique. Si l’on veut faire des économies, il est grand temps de demander des comptes à l’enseignement privé.  A ce titre, Madame la rectrice, nous sommes encore et toujours demandeurs de données détaillées sur les établissements privés sous contrat de Normandie : nous souhaitons pouvoir comparer leur dotation à celle des établissements publics, et mettre cela en regard des données de l’IPS.  Le privé sous contrat est aussi avide d’argent public qu’il est prompt à s’exonérer des réformes qui l’incommodent.  Il choisit ses élèves à l’entrée, et exclut en cours de route ceux qui lui déplaisent.  Ce financement public de la ségrégation n’est plus acceptable. L’Unsa-Éducation appelle de ses vœux des mesures ambitieuses pour la mixité sociale et scolaire, à commencer par une prise en compte des préconisations du tout récent rapport Weissberg / Vannier.

 LE « CHOC DES SAVOIRS » : UN DOGMATISME NAUSÉABOND, UNE POLITIQUE CATASTROPHIQUE

C’est en toute cohérence que, dans le même temps, l’UNSA-Éducation refuse que l’État organise lui-même, dans l’École de la République, le tri social des élèves.  Nous le réaffirmons avec force : le  « choc des savoirs » constitue une approche aussi dogmatique que réactionnaire de l’Éducation, à l’opposé des valeurs de notre Fédération.  Nous avons déjà développé cette opposition de fond à plusieurs reprises.

Aujourd’hui, la question des groupes de niveau, mesure phare de ce choc des savoirs, est au cœur des préoccupations des collègues de collège.  Elle suscite de vives tensions, pour des raisons de fond évidentes mais également pour des raisons de mise en œuvre pratique, qui vont bien au-delà des problèmes de calendrier.

Grâce aux interventions de l’UNSA-Éducation,  ni l’arrêté ni la note de service n’évoquent plus le critère des « niveaux » pour la constitution des groupes.   Tant mieux, on ne peut que s’en féliciter.

UNE MESURE HORS-SOL

Pour autant, rien n’est vraiment réglé.  Certaines formules ambiguës demeurent.  Les moyens nécessaires, y compris la ressource enseignante, ne sont pas au rendez-vous et le cadre défini par la note de service reste bien trop rigide.  Pour ne pas dire hors sol.  Les textes, méconnaissent la diversité et la complexité des établissements.   Rue de Grenelle on sait donner des leçons, mais on ne sait manifestement pas grand-chose des réalités du quotidien d’un EPLE, de l’organisation du travail dans les collèges ou de la réalisation d’un emploi du temps.  Dans un établissement réel, il y a des temps partiels, des stagiaires, des postes partagés (connus tardivement), des situations de handicap, des contractuels, des classes à horaire aménagés, des SEGPA, des ULIS, des transports scolaires, des locaux et des salles et même, figurez-vous, des contraintes pédagogiques (on évitera par exemple, de mettre 4 heures de français au même élève la même journée).  De fait, on est bien loin des exemples ministériels « carrés » qui fonctionnent dans un monde virtuel. Quant aux passages de la note de service qui précisent que les groupes évolueront au fil de l’année, ou qui affirment que les objectifs resteront les mêmes pour tous les élèves…disons que c’est sans doute, pour les rédacteurs, un moyen de se donner bonne conscience à peu de frais.

UNE POLITIQUE NUISIBLE POUR LES PERSONNELS COMME POUR LES ÉLÈVES

Un problème se pose d’ailleurs de manière particulièrement aiguë : celui de l’inclusion.  A la rentrée prochaine, on ouvre de nouvelles ULIS en Normandie.  Dont acte.  Mais concrètement, comment va se traduire le choc des savoirs pour les élèves concernés par des handicaps ou des difficultés d’apprentissage ?  Comment fait-on véritablement de l’inclusion dans ces conditions, Mme la Rectrice ?  Doit-on concentrer tous les élèves avec des P.A.P dans le même groupe ?  Doit-on renoncer à de l’inclusion en classe entière ? Peut-on faire une inclusion efficace dans des cours qui ne dédoublent plus, dans des groupes à fort effectif ? dans un contexte de déstructuration du groupe classe ?

Ainsi, et le fond ne se distingue plus ici de la forme, on voit mal comment ces groupes pourraient être mis en œuvre de manière satisfaisante à la rentrée prochaine.  L’application dogmatique et systématique de cette logique des groupes se traduira bien souvent par des suppression d’options, des réductions ou suppressions de dédoublements de sciences, de langues et culture de l’antiquité, d’histoire.  Les emplois du temps et les conditions de travail seront dégradés : pour les professeurs comme pour les élèves. Le risque est bel et bien celui d’une régression qualitative des enseignements dispensés en collège.

LA CONFIANCE AUX ÉQUIPES, CHICHE ?

Madame la rectrice, nous sommes prêts à croire que votre objectif est celui de la réussite des élèves. C’est pourquoi nous vous demandons de faire confiance à l’expertise des équipes pédagogiques des collèges pour organiser la rentrée de manière cohérente.  Cela suppose de leur laisser une véritable marge de manœuvre.  C’est tout à fait possible : les textes récents (relatifs aux « groupes ») ont une faible valeur règlementaire.  Nous vous demandons de garantir ce que les décrets et le code de l’Éducation établissent sans équivoque : à savoir l’autonomie des établissements en matière d’organisation pédagogique et de mise en œuvre des modalités de différenciation.

Servir les élèves, c’est tenir compte des réalités pour éviter une désorganisation profonde des établissements et un désarroi des professionnels de l’éducation.  C’est aussi accepter, même si cela peut heurter les convictions jacobines ou bonapartistes de quelques-uns, qu’on ne fait pas progresser les élèves sans l’adhésion et l’investissement de ceux qui les encadrent au quotidien.