[Landes 40] Comment peut-on être laique ? Ou quand le CDAL 40 fait société le temps d’une soirée…

Cette table ronde réunissait Yann Boissière, Rabbin libéral français (« Le devoir d’espérance, faire face à la crise spirituelle » éd. Desclée de Brouwer 2024) Bernard Bourdin, prêtre, théologien, historien des idées et philosophe politique français (« Le chrétien peut-il aussi être citoyen? » éd. Cerf 2023) Tarek Oubrou, Grand Imam de Bordeaux, essayiste (« L’appel à la réconciliation, foi musumane et valeurs de la République française » éd. Plon 2019) et Emmanuel Pierrat, juriste, avocat, romancier, essayiste pour la liberté d’expression et l’athéisme (« Je crois en l’athéisme, éd. Cerf 2020).
Parmi les plus de 80 participants à cette soirée de haut vol, nous avons eu le plaisir d’accueillir Mme Claudine LAJUS, Inspectrice d’Académie Directrice Académique des Services de l’Education Nationale des Landes et Mme Salima SENSOU, Conseillère Départementale des Landes.
Vous trouverez ci-dessous quelques éléments de réflexion, non exhaustifs mais qui témoignent de la qualité des interventions et l’intérêt du sujet de ce débat :
En préambule, il a été rappelé, pour faire taire toute polémique stérile que cette soirée n’était pas un rassemblement eucuménique mais bien une séquence ouverte à toutes les convictions religieuses et philosophiques, y compris l’athéisme.
Pour Yann BOISSIERE, la laïcité est « une norme qui s’impose en surplomb à tous. Il y a dans la thélogie juive, quelle que chose de laïque ! » Il cite avec humour Pierre DESPROGES : « Celui qui parle à Dieu est un croyant, celui qui pense que Dieu lui répond est un skyzophrène! ». « Dans la pensée judaïque, la grève est un droit divin » et il y a toujours eu une forte apétence pour l’idée laïque dans la pensée judaïque… En 1905, les juifs de France avaient déjà intégré la laïcité à la française, que Yann BOISSIERE qualifie de « génie organisationnel ». Pour lui, la laïcité est très peu comprise et pas assez enseignée, trop offensive parfois envers les religions. Il faut de la pédagogie et de la patience… Il y a également un danger inhérent à l’adjectivation de la laïcité, une confusion entre pouvoirs publics et espace public, une illusion d’une république transcendée, conçue elle même comme une religion, alors que la laïcité est avant tout ce qui permet la liberté de conscience et l’égalité citoyenne.
Pour Bernard BOURDIN, il ne peut y avoir de laïcité sans déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen. La citoyenneté est un concept « clé ». Il ne peut y avoir de citoyenneté sans affranchissement de toute norme et pensée religieuse. Il rappelle que la laïcité scolaire et universitaire existait déjà en 1875-1880, avant même la laïcité d’état. Pour lui un citoyen croyant (y compris en l’athéisme) est indispensable. Pour jouer un rôle dans notre citoyenneté contemporaine, on ne peut pas être un citoyen « creux » ! Il affirme que même dans une université catholique, la pédagogie et la déontologie sont laïques… Il reprend les thèses de J.J. ROUSSEAU sur les modèles de société civile et le sentiment de sociabilité.
Tarek OUBROU propose deux approches : penser l’islam dans la laïcité et la laïcisation de l’islam. Pour lui, « la laïcité n’est pas la religion civile de la République, la citoyenneté n’est pas laïque. Il faut gérer un pluralisme convictionnel qui ne doit pas troubler l’ordre public. La laïcité à la française est une catholaïcité sécularisée… Pour Tarek OUBROU l’islam est un fait musulman qui ne concerne pas que la religion… Il n’y a pas d’islam avec un grand I, mais plusieurs islams (subsaharien, maghrebin de France, turc…). L’islam est-elle devenue une pensée sécularisée ? Tout n’est pas religion dans ce qu’on appelle Islam.
Pour Emmanuel PIERRAT enfin, l’athéisme est l’essence même de la laïcité. Il y a autant de formes d’athéisme que d’invidus athés ! Emmanuel PIERRAT est passé d’un athéisme revenchard à un athéisme convaincu ! Pour lui, nous avons la chance de jouir d’une liberté fondamental de croire ou de ne pas croire, la liberté d’expression est « chérie » mais pas « délirante » (comme aux U.S.A. par exemple). Mais la laïcité est également engourdie par des textes qui viennent la minimiser, par les réseaux sociaux et une mondialisation à outrance. Notre problème aujourd’hui est que « la laïcité de 1905 est malmenée par l’algorithme et la machine (google, tictoc, meta…). La machine produit ces phénomènes et leurs utilisateurs sont convaincus que ce message est une vérité qui s’adresse à eux. Les adolescents ont un mode de pensée réduit à l’aune de leur téléphone portable… »
Sur la question de la formation¨des enseignants à la laïcité, Yann BOISSIERE souligne l’absence de pensée politique commune, l’individualisme et la prégance des réseaux sociaux. « On est sur des luttes métaculturelles qui s’abordent toute pensée… » pour lui, il faut renforcer l’éducation à la laïcité et l’éducation au fait religieux et à l’histoire des religions. Il faut faire intervenir des personnes qualifiées, car « le religieux est plus écouté sur ces questions que le professeur, car légitimé par son statut. » L’inculture religieuse à l’école publique est une cause de cette difficulté. « On ne peut enseigner la laïcité sans culutre philosophique et religieuse. »
En conclusion, Charles CONTE a posé la question : « Comment combattre l’orthodoxie religieuse? »
Pour Tarek OUBROU, la menace d’une religion ne vient jamais de l’extérieur, son seule risque est l’implosion par elle-même (l’intégrisme). Le propre d’une religion est la transcendance et l’altérité.
Pour Pierre BOURDIN, le sens de l’esprit critique est indispensable. Le devoir des enseignants est de transmettre un savoir, de développer un esprit critique, pour que les élèves ne soient pas captifs de pensées sclérosées. Il y a des tentations identitaires liées à un manque d’héritage historique, à un repli sur une narration fantasmée. La société est un ensemble, il faut donc sortir de l’individualisme.
Pour Yann BOISSIERE, l’extrémisme fait partie de la nature, c’est une capacité humaine… Ce n’est que l’extrémisation d’une idée du bien ou du mal. Il défend la méthode « des petites lumières » : Dans une nuit noire, il suffit d’une petite lumière pour poser une direction. La somme du bien sera toujours supérieur à la somme du cahos. Et de citer A. CAMUS : « Il faut consentir chaque instant à la part lumineuse de nous-mêmes ! »
Un grand merci à nos 4 intervenants et à Charles CONTE pour avoir mené brillament et respectueusement les échanges, à Arlette TAPIAU-DANGLA, Présidente de la Ligue de l’Enseignement, pour cette belle idée lumineuse de conférence, à l’ensemble des membres du CDAL pour l’organisation matérielle et technique. A l’Unsa Education et au SE-Unsa, nous sommes convaincus que nous serons toujours plus forts ensemble et que la diversité est une force !
Christophe NOWACZECK
Secrétaire Départemental Unsa Education / SE-Unsa des Landes