Analyses et décryptages

Santé mentale des enfants : un rapport utile qui laisse des angles morts

En juillet 2025, l’Assemblée nationale a publié un rapport d’information sur la santé mentale des mineurs, rédigé au nom de la délégation aux droits des enfants. Ce travail s’inscrit dans le cadre de la grande cause nationale 2025 et d’une inquiétude croissante face à la hausse des troubles anxieux, à la saturation des CMP et à l’affaiblissement de la santé scolaire. Le document formule de nombreuses propositions, parfois ambitieuses, mais laisse aussi apparaître des angles morts qui interrogent : silences, excès de confiance dans certains dispositifs, manque de réponses structurelles.

La pédopsychiatrie en crise

Le diagnostic est sans appel : délais interminables pour obtenir un rendez-vous en CMP, urgences saturées, manque de pédopsychiatres et d’infirmiers. Les publics les plus vulnérables — enfants suivis par l’ASE, mineurs non accompagnés, victimes de harcèlement — sont en première ligne.

Le rapport plaide pour un renforcement massif du service public : multiplication des CMP, unités de crise adossées aux urgences pédiatriques, recrutements accrus, meilleure coordination entre santé, école et protection de l’enfance.

L’école en première ligne : redonner vie aux RASED

Parmi les propositions, la relance des RASED (Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté) est une mesure phare. Ces équipes de psychologues de l’Éducation nationale et d’enseignants spécialisés offrent une aide ciblée, sans stigmatisation, et évitent de médicaliser inutilement les difficultés scolaires en intervenant directement dans le temps de classe.

👉 L’Unsa-Éducation partage cette orientation et va plus loin : elle revendique le renforcement des RASED dans le premier degré et la création de dispositifs équivalents dans le second degré. Elle rappelle que la prise en charge de la difficulté scolaire doit combiner des approches pédagogiques, éducatives, psychologiques et sociales, dans une logique d’équipe pluridisciplinaire.

CPS et cours d’empathie : des outils insuffisants

Le rapport met en avant la généralisation des cours d’empathie et la diffusion des compétences psychosociales (CPS) comme leviers de prévention, en s’appuyant sur l’expérimentation conduite dans 1 200 établissements début 2024. Les objectifs affichés sont : développer l’estime de soi, le respect de l’autre et de meilleures relations entre élèves.

Mais derrière l’annonce d’une généralisation à la rentrée 2024, la réalité est plus contrastée : les enseignants disposent de peu d’outils pédagogiques fiables, la formation reste insuffisante, et la pertinence même de ce type de dispositif est discutée. L’écart est grand entre affichage politique et moyens réellement alloués, de plus, la qualité des contenus proposés est loin d’être satisfaisante.

👉 Pour l’Unsa-Éducation, les CPS sont essentielles, mais elles ne doivent pas se limiter à quelques séances thématiques. Elles doivent être travaillées collectivement et de manière transversale. Le bien-être des élèves ne peut reposer sur la seule capacité des enfants à « gérer » leurs émotions dans une institution scolaire parfois oppressante ; il relève d’abord du climat scolaire, facteur déterminant de réussite et de réduction des inégalités.

Numérique : un équilibre à trouver entre rejet et accompagnement

Les rapporteures alertent sur les effets délétères d’une surexposition aux écrans et aux réseaux sociaux — anxiété, troubles du sommeil, isolement, exposition à des contenus nocifs — et citent les données de Santé publique France et de l’Arcom sur une utilisation massive et précoce.

Elles proposent de rendre pleinement effective la majorité numérique à 15 ans (loi de 2023), de généraliser la “pause numérique” (coupure des ENT comme Pronote le soir et le week-end) et de renforcer l’interdiction des téléphones portables à l’école et au collège, avec débat sur son extension aux lycées. Ces recommandations reflètent un souci de protection, mais soulèvent des interrogations pratiques (financement, mise en place) et pédagogiques (équilibre entre protection et éducation). Elles ne doivent pas, non plus, servir de paravent pour éluder les causes profondes de la souffrance des jeunes.

👉 L’Unsa-Éducation rappelle que la sécurité des usages pédagogiques et la protection des données doivent être garanties par l’État. Elle défend aussi une approche équilibrée : former à un usage citoyen et critique du numérique plutôt que l’évacuer de l’École. Bien encadrés, les outils numériques doivent contribuer à l’éducation, à l’égalité d’accès et à l’inclusion.

Prévenir plutôt que médicaliser

Le rapport alerte sur une tendance à la sur-médicalisation des difficultés de l’enfance. Des comportements relevant du développement normal — troubles du sommeil, colères, agitation — donnent parfois lieu à des diagnostics hâtifs, entraînant une prescription de psychotropes en nette hausse chez les mineurs. Ce recours excessif s’explique par le manque de professionnels disponibles : faute de suivi psychologique ou éducatif, les familles se tournent vers la solution la plus accessible, la prescription.

Mais si le rapport insiste à juste titre sur ce risque d’« effet d’étiquetage » et sur l’appauvrissement du suivi global des enfants, il reste muet sur un autre danger : la prolifération de pseudo-thérapies et d’approches non éprouvées, qui se diffusent jusque dans les établissements scolaires pour combler le vide laissé par l’insuffisance de l’offre publique. En ne traitant pas ce sujet, le rapport ignore un pan entier des risques actuels.

👉 L’Unsa-Éducation, elle, insiste pour que la santé à l’école soit conçue de façon globale : physique, psychique, sociale et environnementale. Elle revendique un parcours santé pour chaque élève, mobilisant l’ensemble des professionnels de l’éducation, et demande de sauver  la médecine scolaire, aujourd’hui en voie d’extinction. En outre, chacun des métiers qui concourt à la santé globale des enfants et adolescent·es a besoin d’effectifs renforcés: assistant·es de service social, infirmières et infirmiers scolaires, psychologues de l’éducation nationale.

Une grande cause nationale… et après ?

Le rapport rappelle que la santé mentale des jeunes a été déclarée grande cause nationale en 2025. Mais au-delà de l’effet d’annonce, peu de choses se sont traduites concrètement : pas de plan d’urgence pour la pédopsychiatrie, pas de recrutement massif de personnels de santé scolaire, pas de stratégie interministérielle de grande ampleur.

Certes, quelques mesures symboliques ont été mises en avant — pause numérique, cours d’empathie, expérimentation du dépôt obligatoire des téléphones — mais elles restent marginales face à l’ampleur de la crise. Elles n’apportent aucune réponse aux files d’attente interminables en CMP, au manque criant de médecins et d’infirmiers scolaires, ni au besoin d’une action coordonnée entre santé, école, justice et protection de l’enfance.

👉 L’Unsa-Éducation souligne, elle aussi, que cette priorité ne peut rester un affichage : elle exige des plans pluriannuels de recrutement, de formation et de moyens, condition indispensable pour une école inclusive, émancipatrice et protectrice.

En conclusion

Ce rapport a le mérite de dresser un état des lieux, mais il reste incomplet. Pour l’Unsa-Éducation, la réponse doit être systémique :

  • redynamiser et étendre les RASED ;
  • renforcer le climat scolaire plutôt que multiplier des dispositifs superficiels ;
  • garantir un accès sécurisé et éducatif au numérique ;
  • construire un parcours santé global pour tous les élèves.

À cela s’ajoute une exigence forte : améliorer l’attractivité des métiers sociaux et médico-sociaux à l’École. Assistants sociaux, médecins et infirmiers scolaires, psychologues de l’Éducation nationale sont aujourd’hui en sous-effectif chronique, souvent découragés par des conditions de travail dégradées et un manque de reconnaissance. Leur rôle est indispensable pour garantir la santé et la protection des élèves : il faut investir dans leur recrutement, leur formation et leurs carrières.

Seule une approche collective et ambitieuse permettra de protéger durablement la santé mentale des enfants et des jeunes, en faisant de l’École non pas un facteur de vulnérabilité supplémentaire, mais un véritable appui éducatif, social et protecteur.

Lien vers le rapportVidéo de présentation du rapport 

 

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