Le bureau des pleurs est fermé
Occuper le bureau des pleurs ou choisir d’occuper le terrain du combat positif et de l’«agir pour du concret»: le choix de l’UNSA est clair. Avancer, avancer encore, avancer toujours. Dès que possible, même progressivement, étage par étage, marche par marche s’il le faut.
Oui, les temps sont difficiles; on peut même dire qu’ils sont durs. Des espérances ont été déçues ou l’on peut craindre qu’elles ne soient pas satisfaites. La tentation est grande de se réfugier au bureau des pleurs en nous nourrissant de nos plaintes réciproques et de solutions immédiates à tous les problèmes (on n’oserait dire ici de solutions miracles). Ces solutions reposent toutes sur un subtil mélange de Yaka et autres Fauquon dont la possibilité de réalisation est généralement inverse au volume (surtout en cas d’hypertrophie).
Il est pourtant rassurant, le bureau des pleurs, attirant aussi. On peut s’y donner au plaisir gratuit de l’élégie.
Si l’élégie a son charme, artistique surtout, le plaisir qu’on en tire est un plaisir gratuit. D’un point de vue artistique, c’est bien; dans la vie sociale, c’est une tout autre affaire!
Quand on considère ce qui s’est passé dans les deux dernières années, nous avons protesté contre le maintien du gel du point d’indice. Nous avons même agi avec les autres fédérations de la Fonction publique en préservant une unité toujours compliquée à maintenir (même si c’est plus facile en contre) sans pouvoir lever les obstacles. La question n’est donc pas de tomber dans le déni de réalité, tant s’en faut. Le site de l’UNSA Éducation évoque, sans complaisance pour qui ce soit, «les questions qui fâchent» (comme par exemple ici ou là).
Mais, à nos yeux, le mouvement syndical se doit — ou se devrait — de mener cette double besogne quotidienne et d’avenir qu’évoquait la Charte d’Amiens. Il doit donc rechercher toutes les possibilités de réaliser des avancées. Nous l’avons fait quand nous le pouvions, y compris avec le gouvernement précédent, responsable pourtant de la disparition de 100 000 emplois de fonctionnaires, en signant l’accord Sauvadet pour la déprécarisation des non-titulaires… quand nous nous sommes opposés avec énergie et constance à la création du jour de carence.
Cet accord Sauvadet, l’UNSA n’a d’ailleurs pas été la seule organisation à le signer, mais nous avons tenu à le faire appliquer y compris au hasard des changements de gouvernement.
Depuis deux ans, dans un contexte économique et budgétaire particulièrement contraint, nous avons continué à assumer nos responsabilités syndicales pour qu’avance concrètement la situation de nos collègues.

Les discussions sur les «parcours professionnels, carrières et rémunérations» dites encore «avenir de la Fonction publique» viennent à peine de commencer avec Marylise Lebranchu. Avons-nous bien fait de ne pas attendre ? (On évoque des premières mesures en 2016.) Cent fois oui! Parce que les collègues ne pouvaient attendre et que, par exemple, les collègues du C administratif qui auront bénéficié du déblocage du 8e échelon seront partis avec à la retraite. Attendre les aurait fait partir un échelon plus bas, irrémédiablement: c’est aussi simple que cela.
Nous nous honorons, à l’UNSA, d’avoir fait des plus basses rémunérations une priorité (une priorité: pas une exclusivité), quand les grilles antérieures étaient menacées de submersion par le Smic. Pour les personnels concernés, y compris en termes de déroulement de carrière, ce qui est acquis est acquis.

Pour les professeurs des écoles, très en retard en matière indemnitaire, la création de l’ISAE a été un acquis de l’UNSA. Trop faible? Oui. Mais ce qui est pris est pris, et le fait d’avoir mis un pied dans la porte permet d’envisager d’avancer plus loin. Au nom du «Ce n’est pas assez: disons non et partons nous réfugier dans le bureau des pleurs», on n’aurait pas fait avancer d’un centime la situation des personnels concernés.
Regardons d’ailleurs les choses de plus loin.
En 1990, la création du corps des professeurs des écoles a été voulue par les organisations qui sont aujourd’hui le SE-UNSA et l’UNSA Éducation. Pour certains, qui sont partis ailleurs depuis, ce n’était pas bien, pas assez. Le pas assez incluait un pas assez rapide. Tout le monde en convenait: l’accord créant le corps des professeurs des écoles prévoyait 7000 transformations par an. Naturellement, il aurait fallu refuser.

Dans la foulée, il n’y aurait sans doute pas eu d’accord Durafour, ou pas de cette ampleur, avec y compris les mesures qui ont été alors été mises en œuvre pour la filière administrative ou ce qu’on appelait encore la filière ouvrière. Et on aurait peut-être encore une catégorie D aujourd’hui… avec quelles rémunérations?
Quant aux actuels professeurs des écoles, ils appartiendraient sans doute encore à un corps d’instituteurs «légèrement amélioré» débouchant au maximum à l’équivalent du 8e ou 9e échelon des PE sans autre perspective de carrière!

L’UNSA Éducation, ses syndicats et les organisations qui les ont précédées dans l’histoire ont toujours assumé cette responsabilité collectivement, démocratiquement, parce qu’une ambition qui ne se concrétise pas, même modestement et toujours imparfaitement, devient une ambition morte.
Occuper le bureau des pleurs ou choisir d’occuper le terrain du combat positif et de l’«agir pour du concret»: le choix de l’UNSA est clair. Avancer, avancer encore, avancer toujours. Dès que possible, même progressivement, étage par étage, marche par marche s’il le faut.
On peut, comme certaines organisations, refuser ce qui n’est pas tout, tout de suite (et sans doute avec effet rétroactif depuis 1948). On conserve sa pureté, certes; on n’a pas «trahi la classe ouvrière», évidemment ; mais comme dit le proverbe: Celui qui a les mains pures n’a pas de mains. Or, les mains, quand on est un syndicaliste soucieux d’utilité, il faut les mettre dans ce cambouis qui est sale, qui laisse des taches et qu’on n’aime pas voir. Mais la plus belle voiture d’exposition peut rester en panne tant qu’on ne se décide pas à ouvrir le capot. La logique du «tout ou rien», quant à elle, se traduit souvent par ce résultat désespérant pour les personnels: rien.
Nous savons tout ce que nous demandons.
Nous savons ce que nous n’avons pas.
Nous connaissons les points de blocage.
Mais nous sommes fiers de ce que nous avons fait,
de ce que nous faisons pour avancer aujourd’hui comme demain.

Nous sommes fiers, fédération et syndicats concernés, d’avoir fait avancer, même si c’est très ou trop modestement, la situation des plus bas salaires sans que leur soit imposée, en plus, l’indignité d’une indemnité pour compenser ce qui serait un traitement indiciaire inférieur au Smic. Nous savons où doivent nous porter les prochaines étapes, mais ce qui a été fait n’est plus à faire.

À l’UNSA, nous avons décidé de fermer le bureau des pleurs. Nous avons mieux à faire. Les revendications, nous les portons; mais nous savons aussi, avec lucidité, que se contenter d’élever les revendications, comme le faisait remarquer il y a quelque vingt ans une célèbre militante fédérale aujourd’hui disparue, ne permet pas en soi d’élever le montant de la petite case blanche en bas à droite de la fiche de paie.
Comme le disait San-Antonio: l’hypothèse la mieux élaborée ne saurait remplacer la réalité la plus bancale.
Cette réalité, nous entendons la redresser, avec une logique d’œuvre d’art, superbe et majestueuse quand on le peut, avec des bouts de carton quand on ne peut faire autrement… mais toujours avec détermination, constance et cet engagement lucide, mais dans la durée, qui est notre fierté de militantes et de militants de l’UNSA.

Porter les colères légitimes, les insatisfactions qui pèsent sur les personnels est bien de notre responsabilité. À condition de leur donner un débouché, des perspectives — à long terme, c’est souvent nécessaire, mais aussi des réponses possibles à plus court terme, premières briques indispensables à toute construction.
Et c’est pourquoi l’UNSA Éducation, résolument, a fermé le bureau des pleurs.
Luc BENTZ


