Idées d’extrême-droite, histoire d’une normalisation

Qui n’est pas né·e au XXème siècle peut facilement ignorer que le Rassemblement national s’est structuré autour d’idéologies ultra-conservatrices et populistes, fondées sur la xénophobie, le nationalisme et le rejet du progrès.Et pour cause, depuis presque 20 ans le premier parti d’extrême droite en France se défend de toute idéologie raciste, antisémite ou xénophobe. Dans le même temps, ses thématiques et obsessions ont envahi l’espace médiatique et politique : c’est la « banalisation » ou « normalisation » des idées d’extrême-droite, qui a considérablement aidé à la placer au plus haut dans les votes, et intentions de vote des Français.e.s aux élections présidentielles.

Du bruit des bottes à la stratégie de la cravate

Le 5 octobre 1972 est la date fondatrice du principal parti d’extrême-droite en France, le Front National (devenu Rassemblement National en 2018). Le mouvement est entre autres fondé par Jean-Marie Le Pen, le collaborationniste Pierre Bousquet et l’ancien Waffen-SS Léon Gaultier, ainsi qu’un attelage de personnages aussi inquiétants que sulfureux allant de négationnistes notoires comme François Duprat aux nostalgiques de l’Algérie française comme Roger Holeindre.

Dans les années qui suivent, le programme du FN se met en place et reprend les thèmes favoris de l’extrême-droite en faisant du « coût social de l’immigration » la clé de voûte de sa ligne politique. Le président du FN présente, d’ailleurs, dès la présidentielle de 1974 huit propositions « pour la famille, la jeunesse, l’école, les vieux, le travail, les travailleurs indépendants, une politique française » et « contre l’immigration incontrôlée » : cette dernière thématique surfant sur les tensions croissantes de la loi sur le regroupement familial de 1976.

Au début des années 1980, la dégradation des conditions économiques s’accentue et les tensions sociales explosent. En surfant sur la détresse sociale, les peurs et la perte de repères de la population, le Front national s’impose progressivement comme une véritable force politique dans la société française avec un discours simpliste et fédérateur autour d’un ennemi commun : l’autre.

Malgré l’entrée à l’Assemblée nationale en 1986, la progression électorale de l’extrême-droite la laisse assez loin des lieux de pouvoir. Mais le séisme du 21 avril 2002 va bouleverser la situation électorale et politique. La présence d’un candidat d’extrême-droite au second tour de l’élection présidentielle va faire céder des digues, et installer durablement l’extrême-droite dans le champ des possibles en rendant tangible pour de nombreux citoyens l’idées d’une arrivée au pouvoir.

Depuis, l’extrême droite gagne du terrain : Marine Le Pen a récolté le vote de 27,3 % des inscrits au second tour de l’élection présidentielle de 2022 ; le RN a obtenu 31,5 % aux élections européennes de juin 2024. La dissolution de l’Assemblée nationale qui a suivi les européennes et les élections législatives anticipées ont permis au parti d’extrême-droite d’enregistrer l’arrivée de 123 députés dans leur groupe et ce malgré un front républicain qui a joué à plein. Cette constante progression est bien entendu multifactorielle. Comment expliquer toutefois que le vote pour un parti qui reste connu pour son idéologie profondément anti-libérale et raciste, soit désormais qualifié de… banal ?

 

Une banalisation des idées d’extrême-droite dans le débat public

Dans son dernier rapport, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) établit la démonstration que la normalisation des idées de l’extrême droite est tout autant, voire davantage, le fait conjugué d’une stratégie médiatique et d’une récupération idéologique d’une large partie de l’échiquier politique.

Si certains médias sont désormais clairement identifiés au service d’une idéologie d’un violent rejet de l’autre, la CNCDH relève que le rôle des médias dans la stratégie de normalisation du Rassemblement National par exemple, remonte aux années 2010 et n’est pas l’apanage de certains grands groupes ayant mains-mises sur des médias. La « mise en lumière » de la personnalité de Marine Le Pen notamment, a poussé une partie de la classe politique à la récupération plus ou moins assumée de ses idées avec pour effet que plus le discours lepéniste s’est normalisé, plus celui d’hommes et de femmes dits démocrates s’est radicalisé. C’est la fameuse « lepénisation des esprits ». toutefois, comme souvent, les Français préfèrent l’originale à la copie et les résultats électoraux sont sans appel.

Ces thématiques ont donc assez naturellement envahi le débat des dernières élections présidentielles, au cours duquel les questions sociales qui préoccupent les français ont été très largement « polluées » par les thématiques du rejet de l’autre.

Pour faire de l’audience et/ou convaincre avec le sujet de l’immigration ou les thématiques racistes, les ressorts politiques et médiatiques sont les mêmes :

  • Emploi d’une rhétorique au service de l’affect (jouer sur les peurs et les émotions)
  • Technique de débat qui laisse de cotés l’éthique politique, le débat contradictoire et la validation documenté de ses contenus.
  • Recours à des chiffres sortis de leur contexte, voire erronés (sur le nombre d’étrangers en France, ou leur part dans la délinquance par exemple).
  • Instrumentalisation de faits divers tragiques ou affirmation de faits dont la science démontre l’inexactitude (la géographie démontre par exemple que ce n’est pas la politique d’accueil d’un pays qui va influencer l’émigration, mais plutôt la langue parlée, la présence de membres de la famille, la possibilité de trouver un travail, ou tout simplement la nécessité de devoir fuir).

Ainsi en 2023, 45 % des Français considèrent que le RN « n’est pas un danger pour la démocratie ». De surcroît, 43 % d’entre eux estiment que le RN pourrait gouverner sereinement alors même que l’extrême-droite a renforcé la polarisation et la radicalisation du débat public en popularisant une sémantique et des pratiques encore marginales il y a peu.

L’UNSA Éducation affirme qu’il est de la responsabilité des forces progressistes de faire campagne contre les partis d’extrême-droite, et plus généralement contre les idées qu’ils véhiculent. Parce qu’elle ne se limite pas au racisme, parce qu’elle a pénétré des partis dits républicains et parce qu’elle se déploie désormais au-delà de la sphère politique, il est impératif de rappeler les enjeux de l’arrivée au pouvoir de l’idéologie de l’extrême-droite. Pour notre fédération, c’est bien l’éducation, l’information indépendante, et le débat démocratique que cette bataille culturelle peut basculer en faveur des démocrates progressistes. 

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