Financement du privé : 55 propositions musclées pour plus de contrôle

À charge pour certains, solide et nécessaire pour d’autres, le rapport sur le financement de l’enseignement privé des deux députés Paul Vannier (LFI) et Christopher Weissberg (Renaissance), ne laisse pas indifférent. Sévère dans ses conclusions, il pointe les opacités du financement, le contrôle indigent et les manquements au service public de l’enseignement privé. L’UNSA Éducation revient sur les 55 préconisations proposées par les deux rapporteurs dans cet écrit solide de près de 180 pages qui a demandé six mois de travaux, l’audition d’une soixantaine d’acteurs et d’actrices de terrain et des déplacements à Rennes et Marseille.

Lutter contre l’opacité du financement

Premier constat, aucune administration publique ne chiffre exactement la dépense publique faite chaque année pour l’enseignement privé : ni l’État, ni l’Éducation nationale, ni même la Cour des comptes. Alors, à quelle hauteur est financée l’école privée ? Environ 10 milliards d’euros, répartis entre l’État et les collectivités, mais sans plus de précisions. Cette somme est sous-évaluée selon la mission d’information, car s’ajoutent des financements indirects dont les contours sont flous. C’est pourquoi les rapporteurs proposent des suivis plus serrés desdites subventions, en les rendant publiques et traçables.

Les négociations sur la répartition des moyens posent également problème selon les co-rapporteurs. La loi Debré de 1959 prévoit sur ce sujet, une discussion entre État et chaque établissement demandant un contrat. Or, le Secrétaire Général de l’Enseignement Catholique (SGEC) participe directement à ces négociations avec le ministère en dehors donc de tout cadre légal. Les deux rapporteurs proposent de mieux encadrer la pratique : soit pour C. Weissberg en modifiant le code de l’Éducation afin de cadrer la légitimité et les rôles des représentants actuels, soit pour P. Vannier, en revenant à l’essence de la loi de 1959.

Renforcer les contrôles

Les audits budgétaires du privé sont largement insuffisants D’après les rapporteurs, « un établissement privé est susceptibles d’être contrôlé une fois tous les 1500 ans ». Ils suggèrent de développer les missions d’audit des directions départementales des finances publiques (DDFiP) et réclament une augmentation du nombre d’auditeurs. Ces contrôles devraient être effectués selon des listes d’établissements prioritaires élaborées par les recteurs. Ces derniers devraient aussi, pour les rapporteurs, pouvoir suspendre les paiements en cas de manquements graves – ce qui suppose de modifier la loi. Pour plus de transparence, ils proposent également que les établissements privés transmettent aux DDFip des documents comptables plus complets que le simple compte de résultats comme actuellement.

Les rapporteurs ont été alertés lors des auditions sur les pratiques de certains établissements qui dispensent des cours de 50 minutes. Si cette pratique n’est pas illégale, les heures ainsi récupérées (1h30 sur un service de 18h) ne doivent pas servir à proposer une option attractive pour l’établissement, ou pour des cours de catéchèse, pastorale, etc. : il s’agirait alors d’un détournement fonds publics. Comme l’ampleur de ces dérives est difficile à mesurer et à contrôler, les rapporteurs proposent que les établissements concernés transmettent au rectorat, un dossier détaillé pour vérifier que chaque élève dispose du volume horaire auquel il a droit.

D’un point de vue pédagogique, le contrôle n’est pas non plus satisfaisant. En effet, contrairement à leurs collègues, les non-titulaires du privé (20% des effectifs) ne sont contrôlés qu’à la demande des chef.fes d’établissement, une carrière entière sans inspection est donc possible. Dans le premier degré les directeur.trices d’école restent les seuls inspecteur.trices de leurs enseignant.es-collègues avec toutes les limites que cette proximité implique. Enfin, les formations continues dispensées par le privé sont hors de contrôle de l’État, contrairement aux formations initiales. Opaques, elles apparaissent parfois farfelues, non réglementaires, elles s’apparentent à des « pompes à fric » selon les témoignages recueillis par les rapporteurs.

Au-delà du manque de contrôle c’est l’échelle de sanctions qui pose problème car il n’y a pas de gradations entre mise en demeure et rupture de contrat (0,009% pour 7500 établissements). Les rapporteurs souhaitent donc qu’une échelle de sanctions graduées soit inscrite dans chaque contrat d’association afin de pouvoir punir de façon proportionnée et plus fréquente, les manquements signalés.

Lutter contre la ségrégation socio-scolaire

L’enseignement privé ne joue pas le jeu de la mixité scolaire. Comme le rapport le démontre : « les stratégies d’évitement des établissements publics par des familles favorisées, le coût de la scolarisation dans un établissement privé ainsi que la grande liberté dont jouissent les établissements (…) pour le choix de leurs élèves ont contribué à une accélération nette de la dégradation de la mixité sociale au sein des établissements privés sous contrat ces dernières années ».

En 2021, 40,1% des élèves scolarisés au sein de collèges privés sous contrat étaient issus d’un milieu social très favorisé, contre 19,5 % des élèves pour le public ; en 2022-2023 la part des élèves boursiers est de 9,8 % dans les collèges privés contre 27,8 % dans le public ; en 2022 l’IPS des élèves scolarisés dans un établissement privé sous contrat présentaient un IPS moyen de quinze à vingt points supérieur à l’IPS moyen des élèves scolarisés dans un établissement public.

Les rapporteurs préconisent que l’IPS soit au cœur de l’attribution des subventions publiques, elles seraient modulées en fonction du critère de mixité. La liberté laissée aux établissements dans le choix de leurs élèves pose problème aux rapporteurs. Ils critiquent en particulier le fait qu’ils ne gardent pas ceux dont les résultats sont jugés insuffisants. D’où des propositions fortes pour contrer ces « exclusions en cours de scolarité » : P. Vannier propose une pénalité de 10000 euros par élève indument exclu, C.Weissberg préfère, lui, un contrôle du recteur.

Plus généralement, ils préconisent d’étendre au privé sous contrat les règles relatives aux procédures disciplinaires qui ne s’appliquent aujourd’hui qu’au public (sur le conseil de discipline par exemple).

 

L’UNSA Éducation salue ce travail qui rend visibles et objectifs des éléments pressentis. Elle soutient tout ce qui peut aller dans le sens d’une véritable égalité entre les élèves et diminuer l’entre-soi délétère pour notre République. Elle demande donc au gouvernement de prendre en compte les préconisations de ce rapport. Elle espère aussi qu’un projet de loi sera bien déposé concernant le conditionnement des fonds publics alloués au privé. 

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