Filles et maths : l’équation insoluble

Des résultats qui interrogent
Une note de la DEPP (Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance) du 30 janvier 2025 montre que les acquis des élèves de petite section en maternelle dépendent davantage de l’âge que du sexe, notamment en mathématiques. Les filles obtiennent de bons résultats, souvent meilleurs que les garçons, « ont moins de mal à finir ce qu’elles commencent » et « retiennent davantage d’éléments ».
Pourquoi alors en CM1, selon l’enquête TIMSS 2024, la France est-elle le pays qui enregistre le plus grand écart de performance entre filles et garçons : 23 points contre 13 en 2019 ? Pourquoi pour 54% de lycéennes en France, seulement 42% suivent la spécialité « mathématiques » en terminale. Pourquoi ne sont-elles que 30% en prépa scientifiques, 18% dans les grandes écoles scientifiques comme Polytechnique, Centrale ou Les Mines ? Pourquoi, de façon plus globale, les mathématiques pures ont « la palme de la discipline la moins féminisée » ?
La réponse est peut-être à chercher dans le fait, toujours selon la DEPP, que les filles ont un sentiment d’efficacité en mathématiques inférieur de 15 points à celui des garçons malgré des résultats équivalents. Le ministère de l’éducation nationale en convient : « Il y a un travail à conduire sur la manière dont les filles se représentent les mathématiques » car « lorsqu’on parle de nombres en grande section de maternelle, les filles sont aussi à l’aise que les garçons. Quand on commence à parler de mathématiques à partir du CP, elles perdent confiance ».
Pour l’universitaire, aujourd’hui inspectrice générale, Nathalie Sayac, interrogée dans le journal Le Monde, la pression de l’évaluation, désormais standardisée dans des tests nationaux annuels, est également à explorer. « Les filles intégreraient plus rapidement que les garçons les codes scolaires de la “grande école”. Plus sensibles à cette pression à partir de l’évaluation de mi-CP, elles réussiraient moins bien ». Clémence Perronnet, sociologue, confirme « on explique qu’il y a moins de filles en maths par le fait qu’elles ont moins d’aspiration, moins d’ambition, s’autocensurent… » Soit une « auto-responsabilisation » des femmes ». Pour elle, il faudrait reformuler ce problème. Comment perdent-elles leur confiance en elles, et cette ambition ?
Ces écarts persistants ont des conséquences profondes sur les perspectives professionnelles et salariales des femmes qui s’orientent plus vers des filières « peu rémunératrices ». Or, Elisabeth Borne le martèle : « il manque, par an, plus de 20 000 ingénieur.es et 60 000 technicien.nes » ce qui est pénalisant pour notre compétitivité. Le rapport publié conjointement par l’IGESR (Inspection Générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche) et l’IGF (Inspection Générale des Finances) en février 2025 chiffre à 10 milliards d’euros par an l’impact économique de cette sous-représentation sur la croissance française. On est donc loin de l’anecdote.
Des stéréotypes tenaces
On le répète, l’explication n’est pas à chercher du côté des compétences, mais bien dans les stéréotypes de genre, intériorisés dès le plus jeune âge et ancrés dans l’histoire de l’éducation. Les femmes ont dû se battre pour avoir le droit d’étudier les mathématiques de la même manière que les hommes. Dès 1880 et la création des lycées jeunes filles, les programmes étaient allégés, en particulier en mathématiques. Il faudra attendre 1924 pour que les femmes puissent passer le même bac que les hommes. 100 ans après, un certain nombre d’idées reçues ont toujours la vie dure : des capacités cognitives différentes entre hommes et femmes, un goût pour les maths moins marqué et un manque de confiance inhibant chez les filles. Or toutes ont un point commun : elles sont fausses et sont une construction sociale, notamment parce que les enseignant.es. peuvent involontairement reproduire ces stéréotypes.
Il suffit par exemple de lire les appréciations sur les bulletins, à résultat égal en mathématiques, les filles sont « consciencieuses ou appliquées », là où les garçons sont « brillants ». La ministre le rappelle, « les filles ont (…) moins confiance en elles en mathématiques, elles lèvent moins la main lors d’un cours de maths donc si on n’est pas attentif à ça, on interroge tout le temps les garçons et pas les filles, on envoie les garçons au tableau et pas les filles, (…). Cela n’encourage pas. » Encore faut-il en avoir conscience.
Ce qui pose la question de la formation initiale mais surtout continue. Les professeur.es sont très peu formé.es aux inégalités de genre : or si l’on veut efficacement lutter contre celles-ci, énoncer ne suffira pas. D’ailleurs, c’est l’ensemble des métiers de l’éducation qui doit être sensibilisé et conscientisé aux biais de genre : les corps d’inspection, mais aussi les conseillers pédagogiques et les personnels de direction qui impulsent pédagogiquement et peuvent décider la mise en place de formations internes ou d’orienter le projet d’établissement vers l’égalité fille-garçon.
« Filles et maths », un plan ambitieux mais sans réels moyens qui suscite déjà des critiques
Face à ce constat, la ministre a présenté son plan « Filles et maths », il va s’articuler autour de trois axes : formation des personnels, dispositifs spécifiques, modèles inspirants.
Une formation des personnels aux biais de genre apparaît indispensable : 2 heures de sensibilisation seraient ainsi obligatoires pour tous les personnels de l’Education nationale d’ici le 15 septembre. Un plan pluriannuel de formation pour les professeur.es des écoles et de mathématiques sur les stéréotypes d’apprentissage serait engagé. Le but serait, en analysant les gestes professionnels, de prendre conscience des reproductions involontaires. Enfin, une charte anti-stéréotypes serait affichée dans les espaces dédiés aux enseignant.es.
Des dispositifs seraient mis en place ou développés. Ainsi la ministre qui veut encourager les filles à tous les niveaux de classe, prévoit, au collège des classes à horaires aménagés en maths et sciences en 4e et 3e comme il en existe pour la musique ou le théâtre. La volonté affichée est de développer la culture scientifique et technique en ayant des activités supplémentaires pour découvrir les sciences et les mathématiques autrement, avec des chercheurs et des partenaires, et de sensibiliser des jeunes à la recherche et à l’expérimentation. Ces classes devront accueillir 50% de filles. Un retour des quotas ? La ministre s’en défend et préfère parler d’une « représentation équilibrée ». Ces classes seront expérimentées dans 5 académies (Amiens, Bordeaux, Martinique, Nancy-Metz et Normandie) puis déployées à raison d’au moins une par département à la rentrée 2026. Par ailleurs, la ministre fixe des objectifs chiffrés au lycée et dans les CPGE. Pour le premier, l’ambition affichée est de porter de 42 % à 50 % leur nombre au sein de la spécialité mathématiques en terminale générale. Pour les secondes, le plan fixe des objectifs chiffrés de 30% de filles à l’horizon 2030 mais également d’avoir 30% de professeures femmes dans les nouvelles nominations en CPGE. A charge aux inspecteur.trices de les recommander.
Enfin, le dernier volet du plan insiste sur la nécessité d’organiser des rencontres avec des modèles inspirants : chaque année de la 3e à la terminale, un réseau de partenaires (associations, entreprises, universités, grandes écoles) doit permettre à des femmes de présenter leur parcours aux jeunes filles afin de combattre l’autocensure qui les freine trop souvent.
L’UNSA Education approuve évidemment tout ce qui peut permettre d’aller vers plus d’égalité. Elle déplore que ce plan soit insuffisamment financé, notamment pour la formation et rappelle que les biais de genre irriguent toutes les disciplines et tous les métiers. Elle craint, comme le souligne le SE-UNSA, que ces classes à horaires aménagés ne soient des classes à élèves privilégié.es et prône, en plus des quotas de filles, des quotas de mixité. Car, comme le souligne la sociologue Clémence Perronnet, les mathématiques, « comme toutes les autres sciences, ne sont pas neutres : si on compare la population générale et celle qui fait des maths, on constate que des groupes sociaux y sont absents ou sous-représentés : les femmes, les classes populaires et les minorités« .