Analyses et décryptages

Éducation aux activités culturelles et artistiques : faire mieux avec moins, très peu… et d’autres

Les ministres de l’Éducation nationale successifs ont tous mis en exergue l’importance de la culture et la volonté de l’associer pleinement au projet éducatif de la Nation. Sauf que, à la question de savoir comment l’école pouvait faire cause commune avec elle, le sujet des moyens a montré de vraies limites politiques en matière d’éducation aux activités artistiques et culturelles (EAC).

Jean-Michel Blanquer présente en 2018 avec la ministre de la Culture un plan d’action dont l’objectif affiché était le « 100% EAC ». « Tous les enfants, sans distinction sociale ou géographique, doivent avoir accès à une expérience artistique et culturelle pendant leur scolarité », explique en substance le ministre de l’EN de l’époque.

Elisabeth Borne, renchérit quelques années plus tard au micro d’une radio nationale : « chaque établissement doit bénéficier d’une activité culturelle. C’est un enjeu d’équité qui demeure prioritaire malgré le contexte budgétaire ».

Avant elle, le très « bref » Gabriel Attal revendique la transmission de notre culture par les grands auteurs classiques et fustige Tik Tok de vouloir remplacer un jour les romans. Sans oublier l’envolée présidentielle de janvier 2024 relative aux bienfaits du théâtre sur les élèves et leur confiance en eux, le président Macron allant jusqu’à émettre l’idée que le théâtre pourrait être un passage obligé pour tous les collégiens.

« L’EAC, c’est un rapport au monde, c’est un rapport à l’autre, qui est fondé à la fois sur sa compréhension, son esthétique et sur une pratique collective », finalise notre actuel ministre Edouard Geffray, quand il était encore directeur général de l’enseignement scolaire (Dgesco).

En face d’un tel lyrisme, la réalité : les deux heures hebdomadaires d’EAC inscrits dans l’emploi du temps prodiguées par le ministre Blanquer étaient déjà largement effectives dans la plupart des établissements avant cette annonce.

Second point : les écoles, collèges et lycées ont vu cette année la réduction puis le gel de l’enveloppe du Pass Éducation dans sa partie collective, celle qui permet de financer les sorties culturelles, les pratiques artistiques, les résidences et ateliers d’artistes et autres projets EAC qui ouvrent les établissements à leur environnement artistique et culturel. Et qui leur permet d’engager une stratégie d’établissement structurante et durable sur cet axe.

Le syndicat des chef·fes d’établissement, le SNPDEN UNSA, s’est vivement manifesté sur le sujet, dénonçant une politique gouvernementale de stop-and-go qui instaure une instabilité permanente et oblige depuis la rentrée la suspension de nombreux projets EAC. Outre les effets négatifs sur les élèves (qui ne verront et vivront pas les projets promis) et les personnels qui ont vainement investi, ce sont également de nombreux partenariats qui sont fragilisés. Partenariats avec des artistes et structures locales qui ont créé des liens avec les écoles et les établissements, et qui sont aussi pour beaucoup menacées de survie.

Quant au « théâtre pour chaque collégien », très vite est apparue l’infaisabilité d’une telle proposition, tant horaire que matérielle et pédagogique.

Enfin, comme une cerise amère sur un gâteau fétide, du côté de l’EAC hors du champ scolaire, rappelons l’engagement de l’État à l’égard des collectivités territoriales à travers la création du label 100 % EAC fin 2021 (voir notre article). Ce label « a vocation à  distinguer les collectivités engagées dans un projet visant le bénéfice d’une éducation artistique et culturelle de qualité pour 100% des jeunes de leur territoire », vante le site du ministère de la Culture. « Ce label apporte une dynamique nationale pour donner de la visibilité à l’engagement des collectivités. Il aide à renforcer la cohérence de l’action, à dépasser les cloisonnements, fédérer les acteurs, mobiliser d’autres partenaires, pérenniser les dispositifs et développer de nouveaux projets. Il ne s’accompagne pas d’une subvention supplémentaire. »

En clair, l’État n’apporte que son soutien moral et sa reconnaissance institutionnelle à ces collectivités entreprenantes et renvoie la balle à d’éventuels partenaires qui voudraient bien les accompagner financièrement (ou gratuitement) dans leur effort à déployer sur leur territoire une offre d’éducation à l’art et la culture.

De l’énergie dans la voix, il y en a donc, des moyens, beaucoup moins, et si d’autres acteurs que l’État pouvaient s’investir… Tel est double propos à peine voilé de nos dirigeants, qui interpelle tant sur leurs motivations que les enjeux de politique publique.

L’UNSA Éducation tient à redire qu’elle défend une vision globale de l’éducation qui inclut explicitement l’EAC au même titre que les autres enseignements, la formation tout au long de la vie et l’éducation populaire. Et qu’à ce titre, elle soutient les objectifs nationaux précités de faire d’elle (parcours de l’élève et projets d’établissements) un levier puissant pour les apprentissages fondamentaux, la motivation et la construction de la citoyenneté.

Mais pour sa réussite, l’EAC ne peut reposer uniquement sur le bénévolat ou l’engagement de quelques personnes, tout comme il est impératif de veiller, compte tenu du contexte de restreintes budgétaires, à des dérives tentantes vers des logiques de marchandisation qui pourraient mettre à mal l’égalité de tous les élèves à bénéficier de l’EAC selon les promesses du service public d’éducation.

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