Analyses et décryptages

« Défendre une éducation de qualité » : la nouvelle campagne du syndicat écossais de l’éducation

Adam Sutcliffe est le président de l'EIS, le syndicat écossais de l'éducation. Il répond aux questions de l'UNSA Education pour comprendre le mouvement social en cours en Ecosse. L'EIS a lancé depuis plus d'un an une campagne intitulée "Stand up for quality education" (défendre une éducation de qualité) qui prend à bras le corps trois sujets qui sont aussi des questions sensibles en France : le comportement des élèves, la gestion des besoins éducatifs particuliers et la charge de travail des personnels. Cet article revient sur les règles britanniques pour déclencher un mouvement social (nécessitant un vote des adhérents des syndicats) et sur la négociation ardue dans laquelle s'est lancée le syndicat écossais de l'éducation.

Unsa Education: L’EIS a lancé une action militante sur la charge de travail cette année, que demandez-vous au gouvernement ?

Adam Sutcliffe : Nous avons en fait lancé la campagne actuelle (Stand Up for Quality Education) après notre assemblée générale annuelle en 2023. Elle fait suite à une campagne salariale très réussie (Pay Attention), qui avait vu les enseignants en Écosse faire grève pour la première fois sur la question des salaires depuis l’époque de Thatcher dans les années 1980.

“Stand Up for Quality Education” comporte trois volets qui, bien que distincts, s’entrelacent à plusieurs niveaux. Ces trois volets sont : le comportement des élèves, les besoins de soutien supplémentaire et la charge de travail. Notre attention initiale s’est portée sur le volet du comportement des élèves, dans le cadre duquel nous avons interrogé nos membres afin de déterminer l’ampleur et la nature de la violence et de l’agressivité auxquelles ils sont confrontés dans les établissements scolaires. Je suis certain que vos lecteurs ne seront pas surpris d’apprendre que plus de 80 % des écoles font face à des incidents violents et agressifs chaque semaine, et que plus de 70 % indiquent que ce phénomène s’est intensifié au cours des quatre dernières années.

Le deuxième volet concerne les besoins éducatifs particuliers. Nous avons mis en lumière une augmentation de 491 % du nombre d’élèves dans les écoles écossaises ayant des besoins de soutien identifiés, alors même qu’on observe une réduction concomitante des ressources humaines et financières destinées à accompagner ces enfants et ces jeunes.

Le troisième volet concerne la charge de travail. Nous savions que nos membres travaillaient bien au-delà des 35 heures hebdomadaires prévues dans leur contrat, mais nous souhaitions disposer de données concrètes pour étayer notre campagne. Nous avons donc commandé une étude indépendante menée par des universitaires de University of the West of Scotland, de Birmingham City University et de Cardiff Metropolitan University. Le rapport, publié en 2024, a révélé des conclusions frappantes : les enseignants en Écosse travaillent en moyenne plus de 11 heures supplémentaires par semaine au-delà de leur contrat de 35 heures. De ce temps, plus de 50 % est consacré à des tâches qui devraient pouvoir être accomplies dans les 7,5 heures allouées à la préparation personnelle et à la correction. *

En 2021, le Scottish National Party (le parti au pouvoir en Écosse) a promis de réduire le temps de présence en classe de 22,5 heures à 21 heures. Or, à moins de douze mois des prochaines élections parlementaires écossaises, très peu de progrès ont été réalisés pour tenir cet engagement du manifeste, ce qui est malheureusement préoccupant.

Ainsi, pour répondre à la question, nous demandons que le gouvernement tienne sa promesse de réduire de 90 minutes le temps de présence en classe et que ce temps soit entièrement consacré à accroître le temps dont disposent les enseignants pour la préparation de l’apprentissage, de l’enseignement et de l’évaluation — des tâches qui sont actuellement réalisées en soirée, le week-end, et même pendant les périodes de congé.

Comment s’est passée la négociation** avec le gouvernement et à quel moment avez-vous décidé de lancer un mouvement social? 

Les négociations sur cet élément ont été franchement tortueuses, alors que nous demandons simplement au gouvernement de respecter son propre engagement électoral.

Les quatre dernières années ont été marquées par l’obscurcissement des débats et des retards de la part de nos employeurs et du gouvernement, ainsi que par un manque de volonté d’assurer que la réduction complète du temps de présence en classe soit consacrée à alléger la charge de travail des enseignants.

En décembre 2024, le gouvernement et les employeurs se sont engagés à réaliser des “progrès significatifs et rapides” en vue de réduire le temps de présence en classe. Compte tenu des déceptions antérieures, la partie enseignante a fixé une date limite au 3 février, en indiquant qu’un « conflit formel » serait déclaré en l’absence d’avancées concrètes. Aucun projet n’a été soumis et, par conséquent, la partie enseignante a déposé un conflit formel pour les raisons suivantes :

  • L’absence de progrès concernant la réduction du temps de présence en classe à 21 heures.

  • L’absence d’accord sur l’utilisation du temps dans le cadre des 35 heures hebdomadaires contractuelles.

Les réunions ultérieures entre toutes les parties n’ont permis d’aboutir à aucun progrès significatif vers une résolution. Les représentants des enseignants ont d’ailleurs été consternés de découvrir que les employeurs et le gouvernement avaient mis en place un groupe de travail chargé d’examiner des solutions possibles, sans la présence des syndicats enseignants.

Le 8 mai, l’EIS a estimé n’avoir d’autre choix que de procéder à un scrutin consultatif afin de trouver une solution au conflit concernant la réduction du temps de présence en classe. Le scrutin s’est ouvert avant les vacances d’été en Écosse et s’est clôturé après, révélant un soutien massif à des actions autres que la grève (92 %) ainsi qu’à la grève elle-même (83 %).

En Ecosse, quels sont les règles à respecter, pour une organisation syndicale, pour avoir le droit de lancer une action syndicale, comme une grève?

Malheureusement, la législation sur l’emploi n’est pas dévolue à l’Écosse, et nous sommes donc soumis aux lois adoptées à Westminster. Il y a neuf ans, le gouvernement conservateur du Royaume-Uni a adopté le Trade Union Act 2016, qui a imposé des restrictions draconiennes à l’organisation syndicale. Des seuils de participation, inexistants dans tout autre type d’élection, ont été imposés aux syndicats. Pour pouvoir engager une action syndicale, un syndicat doit organiser un scrutin statutaire par voie postale. Pour obtenir un mandat légal, il faut qu’au moins 50 % des personnes habilitées à voter participent au scrutin, et que 40 % d’entre elles votent en faveur de l’action.

Cela rend l’organisation d’une grève extrêmement complexe. Nous devons organiser un scrutin consultatif (comme celui décrit ci-dessus) afin d’évaluer l’intérêt pour une action revendicative et de nous assurer du soutien de nos membres. Toutefois, nous pouvons utiliser ce processus comme un outil d’organisation pour vérifier que nous disposons de coordonnées exactes (notamment postales et électroniques) de nos membres, pour sensibiliser davantage aux enjeux, et comme moyen de renforcer la pression sur les employeurs et le gouvernement afin qu’ils agissent.

Quels sont les autres sujets importants de cette rentrée scolaire pour l’EIS?

Lors de notre assemblée générale annuelle en juin, nous avons adopté près de 70 motions qui constitueront une grande partie de notre travail pour cette année scolaire.

Notre campagne « Stand Up for Quality Education » reste un axe majeur de notre action cette année. Les données issues de notre dernière enquête auprès de l’ensemble des membres serviront de fondement à une grande partie de notre mobilisation.

Nous, aux côtés du mouvement syndical mondial, allons également travailler activement pour contrer la montée de l’extrême-droite en Écosse. Les élections parlementaires écossaises de 2026 approchent, et nous aurons fort à faire pour faire face à la progression du parti populiste xénophobe Reform UK, dirigé par Nigel Farage, l’architecte du Brexit. Ce combat est étroitement lié à notre travail en faveur de l’égalité, notamment dans la lutte contre la désinformation, la mésinformation et les attitudes misogynes au sein des établissements éducatifs.

Nous menons également une campagne visant à améliorer les conditions de travail des enseignants dans plusieurs domaines, notamment le congé familial et le congé maternité, la dissociation de l’âge normal de la retraite (l’âge auquel il est possible de commencer à percevoir ses prestations de retraite sans réduction ni bonification du régime) de l’âge légal de la retraite, ainsi que l’intégration explicite du stress lié au travail dans les dispositions contractuelles relatives aux absences pour maladie ou blessure d’origine professionnelle.

L’EIS fêtera ses 180 ans l’année prochaine ; nous sommes le plus ancien syndicat de l’éducation au monde, et nous serons plus actifs que jamais pour poursuivre les objectifs inscrits dans notre charte royale :

  • promouvoir un apprentissage de qualité ;

  • faire progresser les intérêts de l’éducation en Écosse ;

  • et défendre les intérêts et le bien-être des enseignants en Écosse de manière générale.

* En Écosse, un enseignant est contractuellement tenu de travailler 35 heures par semaine. Ce temps est réparti en trois blocs : un maximum de 22,5 heures de présence en classe (l’un des plus élevés parmi les pays de l’OCDE), un minimum de 7,5 heures de préparation personnelle et de correction, et 5 heures de travail collégial (temps consacré aux réunions, aux rencontres avec les parents, à la rédaction des bulletins, etc.).

** Les conditions de travail des enseignants sont négociées par un organisme national appelé le Scottish Negotiating Committee for Teachers (SNCT). Il s’agit d’un organe tripartite composé de la partie enseignante (des représentants des syndicats d’enseignants d’Écosse, avec l’EIS comme voix majoritaire), de la partie employeurs représentés par la Convention of Scottish Local Authorities (CoSLA), et du gouvernement écossais.

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