Analyses et décryptages

Débat sur le calendrier : Au regard des différents systèmes éducatifs, ce n’est pas la quantité d’éducation qui fait la différence

Depuis plus de 30 ans, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui regroupe 38 pays publie un rapport intitulé « Regards sur l’éducation » destiné à dresser un état des lieux de leurs systèmes éducatifs. A l’heure on l’on parle de réformer les rythmes et le calendrier scolaires, nous avons interrogé l‘analyste Eric Charbonnier, l’un des principaux contributeurs de ces travaux, à l’occasion de notre dernier Questions d’Éducation (QDE n°55) sur les comparatifs internationaux. Pour lui, ce n’est la forcément la quantité d’éducation qui favorise les bons résultats académiques et les bons taux d’une insertion réussie dans la vie active. Une belle matière à réflexion. Entretien.

A la lecture des « Regards sur l’Éducation », on est immédiatement enclin à comparer les pays, et surtout à se comparer aux pays voisins. Pourtant, il y a des réalités scolaires si différentes d’un pays à l’autre. Comment lire intelligemment la rapport de l’OCDE pour ne pas se faire piéger par les raccourcis de lecture et donner du relief à la relativité des résultats ?

Eric CHARBONNIER. Je voudrais d’abord dire que l’étude de l’OCDE est la plus ancienne, c’est elle qui a fait connaître les comparaisons internationales avant même l’étude PISA*. Il y a une forme d’expérience de cette publication annuelle, sortie tous les ans depuis 1993. Il faut savoir qu’elle est faite en coopération avec l’ensemble des ministères de l’éducation des pays de l’OCDE, ce qui veut dire qu’il y a des réunions régulières pour discuter du contenu, de la comparabilité des indicateurs, pour se mettre d’accord sur des définitions. Ce qui est intéressant dans ce concert, c’est qu’à chaque fois, il y a une amélioration, et aujourd’hui, on arrive peut-être à un âge d’or avec les avancées technologiques, les progrès aux niveaux nationaux dans tous les pays en termes de données disponibles. Nous commençons à avoir tout un ensemble d’indicateurs, qui étaient publiés déjà au début, mais qui ont maintenant une couverture et une comparaison de bien meilleure qualité que ça ne l’était.

En termes de comparabilité, le nombre de pays participant à l’OCDE a tendance à s’agrandir, on a de plus en plus de pays en accession, et c’est toujours intéressant de regarder la moyenne générale. Mais comme vous l’avez dit, l’intérêt de ce genre de publication, c’est de se comparer à ses voisins, ce qui apporte des lectures un peu plus modérées, différentes. Si vous prenez un indicateur comme la taille des classes, au regard de tous les pays de l’OCDE, la France est plutôt proche de la moyenne, ou légèrement au-dessus, parce dans les pays d’Asie il y a beaucoup d’élèves par classe, dans les pays d’Amérique du Sud également. Si on compare la France à la moyenne européenne, on a tendance à avoir des classes un peu surchargées ou plus chargées que beaucoup de pays en Europe. C’est donc important de regarder la moyenne générale mais de voir aussi les limites de ses propres moyennes avec un deuxième regard vers les pays voisins pour essayer d’améliorer le diagnostic.

Cette publication a aussi l’avantage de couvrir tous les aspects du système éducatif. Les données administratives qui sont collectées tous les ans proviennent des ministères nationaux et nous permettent d’avoir un large panorama sur le système éducatif, de la petite enfance jusqu’à l’enseignement supérieur, avec des indicateurs clés qui sont en lien au financement des systèmes éducatifs, à la scolarisation des élèves dès l’école maternelle, à la progression dans l’éducation, mais aussi dans le lien entre l’école, le secondaire et l’enseignement supérieur, et entre l’enseignement supérieur et le marché du travail.

Avec ces 500 pages d’indicateurs, on est capable d’avoir un constat, un diagnostic, une description de tous les systèmes éducatifs. Il faut faire attention malgré tout dans l’interprétation car on n’a pas forcément les données à l’instant T. Si vous regardez les données de financement qu’on a publié dans la dernière édition, ce sont des données de 2021. Aujourd’hui, on est en 2025. Et les dernières réformes qui ont pu être mises en œuvre dans les pays ne sont pas toujours retranscrites dans les données qu’on peut publier chaque année.

Les indicateurs sont plus quantitatifs que qualitatifs. N’y a -t-il pas là aussi une limite à l’interprétation ? Vous le dites d’ailleurs dans le rapport : ce n’est pas parce que certaines statistiques ont progressé comme l’accès au marché du travail qu’on forme mieux, qu’on éduque mieux…

Aujourd’hui, on est dans une situation où le niveau d’éducation de la population s’élève. On a plus de jeunes qui atteignent le niveau de l’enseignement supérieur, on a moins de décrocheurs, on en a moins qui sortent sans qualification. Alors si on se place d’un point de vue du marché du travail, on voit également dans la publication que, en général, un niveau d’éducation plus élevé permet d’avoir de meilleurs débouchés. ça, c’est une lecture. Mais on peut mettre en opposition à ces résultats les études PISA ou des études sur le niveau des élèves où l’on voit que le niveau des élèves baisse. On est dans cette contradiction, avec un niveau de qualification qui s’élève mais d’un autre côté une maîtrise des compétences des élèves qui diminue. En mettant bout à bout tous ces indicateurs, on arrive à de grands questionnements comme : « le diplôme permet d’avoir de meilleurs débouchés sur le marché du travail mais est-ce que les jeunes d’aujourd’hui sont vraiment préparés à être opérationnels ? ». D’ailleurs l’une des recommandations fréquentes des études de l’OCDE est que ce n’est pas forcément la quantité d’éducation qui va faire la différence. […]

Il y a des grands indicateurs type, récurrents, qui ne semblent pas réserver de grandes surprises, mais peut-on imaginer de nouveaux indicateurs qui apporteraient une lecture plus probante, plus pertinente, en croisant davantage les données ou en prenant en compte de nouvelles situations ?

Disons que c’est comme dans un restaurant où vous avez des plats signatures, ce sont les indicateurs clés qu’on publie tous les ans, mais l’objectif de cette publication c’est aussi d’avoir de l’innovation. Notre grande publication de 500 pages n’est pas facile d’accès pour quelqu’un qui n’est pas un spécialiste d’éducation, qui ne travaille pas dans la recherche. On a donc des produits alternatifs qui sont associés avec la publication. On choisit des thématiques tous les ans et on fait des petites brochures d’une trentaine de pages. On fait des notes pour chaque pays avec les problématiques qui y sont les plus saillantes et on produit différents travaux qui ont un aspect plus politique. Et puis dans les indicateurs des « Regards sur l’éducation », outre les thèmes qu’on change tous les ans, il y a quand même des nouveautés. Il est important aujourd’hui de donner ce qu’on appelle de la granularité aux données, c’est-à-dire de regarder davantage ce qui se passe dans les territoires.

Souvent, quand on parle d’un système éducatif, on a tendance à considérer que les problèmes sont les mêmes sur l’ensemble des territoires. Ce qu’on a essayé de faire dans la dernière édition, pour la première fois, c’est de travailler à la question de la taille des classes. La France a participé à cette étude et on a pu voir, par exemple, qu’il y avait certaines zones, comme la Creuse, où le défi était de garder les écoles ouvertes parce qu’on avait de moins en moins d’élèves. Et puis, a contrario, vous avez dans les grandes villes la problématique de trouver toujours des enseignants parce qu’on est dans une démographie qui augmente. Et puis nous essayons de traiter les problématiques d’actualité comme l’an dernier avec la question de la pénurie d’enseignants à travers différents indicateur qu’on va continuer à développer dans les années futures.

On est aussi en train de réfléchir à développer des indicateurs sur le climat, l’évolution des températures et l’impact que cela aura sur la scolarisation des élèves, notamment dans les régions qui vont être les plus chaudes. Ou encore sur l’utilisation de l’intelligence artificielle dans les apprentissages. « Regards sur l’éducation », c’est une base avec un menu et des plats signatures, mais c’est aussi une évolution pour suivre en même temps l’évolution de la société et des systèmes d’éducation.

Vous faut-il beaucoup de temps pour créer un nouvel indicateur, et surtout pour le mettre en œuvre ?

Ça dépend de la difficulté. Nous avons nos collectes régulières, c’est-à-dire des indicateurs qu’on retrouve tous les ans et qui n’évoluent plus en termes de façon dont ils sont collectés. Parce que la méthodologie fonctionne pour tout le monde. Par exemple, le niveau d’éducation des 25-64 ans ou la dépense publique et privée dans l’éducation… Ce sont là des données qu’on collecte tous les ans assez facilement car elles sont connues par les pays. Quand on crée des nouveaux concepts, ça peut prendre beaucoup plus de temps. Par exemple, sur la pénurie d’enseignants, comment on va faire pour considérer qu’il manque des enseignants en début d’année ? Dans certains pays, comme en France, on le fait par rapport aux postes non pourvus, par rapport à l’examen, au concours de l’année précédente, mais dans un autre pays, il y a beaucoup plus d’autonomie et ce sont les établissements qui gèrent le recrutement des enseignants. On va donc regarder les vacances d’emploi. Ce qui prend bien sûr du temps, déjà de faire le constat sur la manière dont sont organisés les systèmes éducatifs, puis de voir s’il y a une forme de comparabilité des mesures qu’on veut utiliser. Tout ça se fait par des échanges avec les pays, du dialogue, et chacun, en expliquant l’organisation de son système éducatif aide les autres à trouver une méthodologie. Parfois il suffit qu’un pays évoque ses méthodes d’estimation pour que d’autres pays les adoptent.

Pour en revenir à la France, quels sont les pays auxquels on pourrait se comparer, qui sont les plus proches de notre culture de l’éducation, où il serait un peu pertinent de regarder comment ça se passe chez eux ?

Ça dépend vraiment de l’indicateur pris en compte. Chaque indicateur a ses limites. Si on regarde l’équité dans les systèmes éducatifs, on a des pays qui s’en sortent très bien. On cite souvent la Finlande, l’Estonie, le Royaume-Uni. La Finlande est un tout petit pays, l’Estonie a 2 millions d’habitants, ça sera donc peut-être plus intéressant d’essayer de comprendre pourquoi le Royaume-Uni s’en sort mieux que nous en termes d’équité du fait qu’ils ont eux aussi une population très diverse, beaucoup de jeunes et d’adultes issus de l’immigration. On voit aussi par exemple qu’ils ont mieux réussi que nous la politique de formation des enseignants et d’affectation des enseignants dans les zones les plus défavorisées. Mais il ne faut pas se fermer quand on se compare aux autres en pensant que les pays qui sont plus petits que nous n’ont pas d’intérêt, parce qu’on trouve toujours une forme d’intérêt.

Je vous ai parlé de la Finlande :, tout ce qu’ils ont fait sur la formation des enseignants est quelque chose qui peut nous inspirer. Sur le fait de donner de l’importance au volet pédagogique du métier, de développer une culture de coopération à l’intérieur des établissements. Ce n’est finalement plus une question de taille de pays mais de choix politique qui va dans une direction qui n’est pas forcément celle qu’on a choisi, nous, avec nos concepts de liberté pédagogique et d’enseignants qui travaillent de façon assez individualisée dans leur établissement. ça dépend vraiment de l’indicateur qu’on regarde. Et il faut toujours conserver une réflexion critique en tenant compte de la limite de la comparaison avec certains pays.

Ensuite, il faut un relais de ce commentaire auprès des politiques pour rendre vos constats et vos observations utiles. Comment vous y prenez-vous pour influencer les décideurs ?

Je pense qu’aujourd’hui les publications de l’OCDE ont une forme de visibilité. Si vous regardez « Regards sur l’éducation », il y a une note de synthèse, une dizaine de pages sur la France, qui reprend tous les points importants. C’est typiquement un document qui doit finir sur le bureau du ministre, qui lui permet d’avoir des informations. On suscite aussi des débats. Suite aux derniers « Regards sur l’éducation » la·le ministre de l’Éducation est venu.e souvent débattre avec notre secrétaire général sur certaines problématiques de l’éducation. En donnant de la visibilité à nos chiffres, on essaie d’aider les ministres à mettre en œuvre du mieux possible les politiques éducatives, même si en ce moment en France, depuis quelques années, le contexte s’est complexifié du fait des nombreux changements politiques. Ce qui a entraîné un peu de manque de cohérence dans les politiques éducatives mises en œuvre.

* PISA. Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves

Sélectionnés pour vous
+ d’actualités nationales