Collège, le statu quo est impossible. Interview de François Dubet

Le prochain numéro du magazine, “Questions d’éduc”, se posera la question : apprendre en 2025, oui mais comment ? Dans ce cadre, François Dubet nous a accordé un long entretien durant lequel nous abordons la question du collège. Avec seulement 32% des français qui pensent qu’il fonctionne bien (IFOP, 2023) et un ancien ministre, Pap Ndiaye, qui le désignait en 2022 comme “l’homme malade” du système éducatif, le point de vue d’un sociologue, expert des questions éducatives, est plus que bienvenu.
François Dubet dans le prochain numéro de Questions d'éduc

Retrouvez la suite de cette interview dans notre prochain numéro de “Questions d’éduc”.

Pour le recevoir dès sa sortie, suivez ce lien.

Le collège unique a-t-il encore de l’avenir ? N’est-il pas trop hétérogène ?

François Dubet. Pendant longtemps les enseignants étaient favorables à un collège unique, où tous les élèves se retrouvent, mais ils souhaitaient le maintien de classe de niveau, de l’orientation précoce, etc. Aujourd’hui, les choses ont visiblement changé. Beaucoup d’enseignants refusent le modèle du tri et veulent défendre un modèle plus hétérogène. L’opposition qui s’est manifestée après la réforme Attal des groupes de niveau est une nouveauté de ce point de vue là.

Mais il faut trouver des réponses pédagogiques à l’hétérogénéité et ce n’est pas simple. Les 10% des “meilleurs” élèves de 6e ont un niveau supérieur aux 20% des 3e les plus en difficulté. C’est un écart énorme en termes de compétence.

Si on ne fait pas, le clivage qui se fait à l’intérieur d’un l’établissement se fera entre les établissements. Cette tendance existe déjà aux deux extrémités du système scolaire. Vous avez des “collèges de pauvres”, pour le dire simplement, et des “collèges de riches”, souvent privés, mais pas seulement privés. Mais les écarts se creuseront encore.

Et vous savez comme moi que les hommes politiques qui agiteront la liberté du choix scolaire auront l’opinion publique pour eux, il ne faut pas se faire d’illusions. Mais il ne faudrait pas tomber dans un piège où chaque collège serait homogène, et que ce soient les collèges entre eux qui deviendraient de plus en plus hétérogènes.

Quelles sont les positions des partis politiques sur cette question du collège unique ?

F.D. J’ai relu le projet de réforme du collège du Rassemblement national. C’est extraordinaire, c’est un document archéologique, on veut revenir à Pétain. C’est-à-dire qu’on sélectionne, qu’il y a des examens pour passer d’une année à l’autre, qu’il n’y a pas de cycle et qu’on oriente précocement, qu’on ouvre une filière techno en quatrième, etc. Ce programme n’est pas intelligent, mais il répond à des fortes demandes de l’opinion, il a été fait comme ça. On liquide l’éducation à la santé, on liquide l’éducation à la sexualité, on liquide l’éducation à l’environnement, on liquide tout ça. Comprenez bien ma position, je ne dit pas il faut faire ça, mais il faut quand même se demander pourquoi en France, dès qu’il y a un problème social, on dit, et on est quasiment le seul pays du monde à ma connaissance à le dire, c’est à l’école de s’en occuper. C’est pas tenable.

La gauche et la droite ont plutôt des réflexes reptiliens en la matière. La droite dit “revenons au collège d’avant” : les disciplines, les matières, les examens. Et la gauche, qui n’est pas toujours très courageuse, dit “avec plus de moyens, ça va finir par marcher”.

Il faut plus de moyens, mais pas pour faire la même chose. On a beaucoup d’enquêtes qui établissent que si vous faites la classe de la même manière à 28 ou à 22 élèves, dans le deuxième cas, ça coûte simplement plus cher. J’ai le sentiment que les enseignants commencent à ne pas être dupes, à comprendre, que ça ne peut plus tenir éternellement comme ça.

Et si demain on ne change rien ?

F.D. Si demain, rien ne change, je crains qu’on aille vers un marché scolaire, avec des vouchers. C’est-à-dire qu’on dira aux parents, vous choisissez votre école, on vous aide à la financer avec un voucher, c’est-à-dire un chèque. Et les enseignants, on les recrutera comme on pourra. Il y a de sérieuses raisons d’être très pessimiste. Si on regarde le contre-exemple américain, c’est très troublant. Il y a un grand écart entre les écoles. Le niveau de recrutement des enseignants d’école publique est absolument effarant et il y a un taux de démission de 40% au bout de 5 ans.

Ce qui se développe beaucoup, entre autres aux Etats-unis et particulièrement dans les quartiers pauvres, ce sont les “charter schools ». Le RN prétend d’ailleurs vouloir les développer en France. Ces établissements reçoivent des subventions publiques et restent donc gratuits pour les familles mais ils développent leur propre pédagogie, ils sont complètement autonomes. On les évalue tous les 7 ans. Et ces collèges ont du succès. Parce que quand le collège du quartier est dans un état abominable, où aucun enseignant ne met ses propres enfants, on ne peut pas dire aux parents, n’allez pas voir la charter school, parce c’est moralement discutable. Ce n’est pas un argument de poids.

Dans cette perspective, ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’école française, qui est par ailleurs très homogène, très bureaucratique, très centralisée, reste quand même exceptionnellement inégalitaire par rapport à des systèmes qui sont en réalité plus libéraux, plus décentralisés. Donc, l’équation n’est pas très facile à résoudre. Entre le collège Pablo Neruda, de la banlieue de Seine-Saint-Denis, et un collège du cinquième arrondissement parisien, c’est théoriquement le même collège, la même république. Pourtant personne n’est assez bête pour le croire.

En partant de ce constat, une question qui se pose et qu’on avait essayé d’aborder avec Najat Vallaud-Belkacem, c’est le problème des 15-20% de collèges qui sont à des seuils de pauvreté extrême avec des niveaux très bas. C’est quand même un enjeu considérable. Et ce n’est pas en mettant 10% de moyens de plus, qui ne compensent même pas les écarts de salaire entre les jeunes profs qui y sont et les profs plus expérimentés des collèges et centres-villes, qu’on va s’en sortir.

Quand les consommateurs quittent votre restaurant pour aller dans le resto d’en face, il ne s’agit pas simplement de critiquer le resto d’en face, il s’agit de se demander pourquoi ils quittent le vôtre. Et je crois que là, on a quand même à réfléchir sur la qualité du service public d’éducation. Il faudra, par exemple, dans une réforme des collèges, être capable de convaincre que c’est le collège de tous, mais que les meilleurs des élèves ne seront pas sacrifiés. Autrement, je crains que l’évolution soit une sorte de séparatisme. Aujourd’hui, l’enjeu est de défendre la qualité de l’école publique. C’est absolument indispensable.

Pour aller plus loin

Retrouvez la suite de cette interview dans notre prochain numéro de “Questions d’éduc”.

Pour le recevoir dès sa sortie, suivez ce lien.

Retrouvez également ces derniers ouvrages en librairie

Sélectionnés pour vous
+ d’actualités nationales