Affaire Betharram, une audition très attendue du premier ministre
Une responsabilité d’ores et déjà engagée ?
François Bayrou n’a jamais fait mystère que sa foi catholique constituait « un pilier de sa vision du monde ». Cela ne présente pas de problème en tant que tel. En revanche, cela ne saurait assurer un traitement de faveur à l’enseignement privé catholique qui, à travers le Secrétariat Général de l’Enseignement Catholique, détient déjà une trop forte influence en matière d’enseignement.
Pourtant, en l’espèce, tous les doutes sont permis. La commission d’enquête a déjà permis de libérer la parole et de donner corps à certaines dérives très graves. Il ne s’agit pas de savoir si le chef du gouvernement a bien ou mal communiqué, ce n’est pas le sujet. De fait, le premier ministre n’a pas dit la vérité quand le 11 février, il assurait à la tribune de l’Assemblée nationale, qu’il n’avait « jamais été informé de quoi que ce soit de violences ou de violences a fortiori sexuelles ».
En réalité, dès 1996, alors que François Bayrou était ministre de l’Éducation nationale, la presse locale dénonçait déjà des choses très graves qui auraient nécessité pour le moins une prise en compte et une véritable investigation. Le ministre avait fait le choix de prendre d’emblée fait et cause pour l’établissement privé. La justice condamnera, d’ailleurs, un surveillant auteur de violences. Ce dernier sera soutenu jusqu’au bout par l’institution catholique et même maintenu à son poste…
Plus grave encore, le département présidé par François Bayrou allouera entre 1995 et 1999 l’équivalent de près de 250000 euros à l’établissement où sa femme travaillait et où ses enfants ont étudié.
Sur tous ces éléments, l’audition du premier ministre sera particulièrement attendue.
Reconnaître les victimes, protéger la jeunesse
Il ne suffit pas d’empiler les données et statistiques alarmantes sur l’état de santé de notre jeunesse. Ce constat est indispensable mais il ne fait pas une politique. Des moyens sont évidemment indispensables pour accueillir leur parole, les conseiller et les orienter. Mais si ces préalables sont nécessaires, ils sont loin d’être suffisants. Il faut considérer cette jeunesse qui aspire à s’épanouir au sein de l’école ; une jeunesse qui a un autre regard sur le parcours scolaire, d’autres aspirations. Cette jeunesse vit différemment son passage à l’école et évolue dans un monde où l’ouverture et l’exigence de transparence sont devenues des références incontournables. La parole de nos jeunes, sans être sacralisée, doit être prise en compte, considérée, respectée.
Le scandale de Betharram démontre à quel point l’idée d’un enseignement archaïque, basé sur un rapport de domination hors de propos, était encore ancrée dans certains esprits. Il est urgent de reconnaître les victimes et de donner tous les gages d’une véritable protection de la jeunesse et ce d’autant plus dans des lieux sanctuarisés comme l’école.
Contrôler l’enseignement privé catholique
Après la déflagration Notre-Dame-de Bétharram, c’est un véritable #MeToo de l’enseignement privé qui a déferlé sur notre pays. Relayé par la presse après les premières révélations et les premières auditions de la commission. On peut citer en autres : Notre-Dame-du-Sacré-Cœur de Dax, l’Immaculée-Conception à Pau, le collège Saint-Pierre-de-Relecq-Kerhuon, Riaumont à Liévin, Notre-Dame-de-Charité-du-Bon-Pasteur d’Angers, Saint-Dominique à Neuilly-sur-Seine, Notre-Dame-de-Garaison dans les Hautes-Pyrénées. Tous ont été mis en cause pour des faits de violences physiques et sexuelles sur plusieurs décennies. C’est une culture, pour ne pas dire un véritable système, qui a été dénoncé par une jeunesse invisibilisée, maltraitée et humiliée. Dans cette dénonciation, les adultes ont failli dans leurs missions de protection et l’État a été défaillant en tant que responsable.
On peut toujours essayer d’envisager des raisons qui nous auraient amenées à ce fiasco. Le poids historique de l’enseignement catholique n’est plus à démontrer. Ce n’est d’ailleurs pas l’objet du débat qui nous occupe en l’occurrence. Mais force est de constater que, faute de moyens et surtout par complaisance du pouvoir, une forme de laisser-faire s’est installée donnant libre-court à l’auto-régulation. L’État s’est soustrait à ses responsabilités pendant trop longtemps. Ces établissements y ont instauré leurs propres règles de fonctionnement.
La France n’est pas isolée et ces dérives ont été observées dans d’autres pays avec des affaires concernant des établissements confessionnels variés. Par exemple, le scandale de l’école Bedford au milieu des années 1990 à Montréal a donné lieu à une réaction d’ampleur des décideurs avec une prise de conscience qui a abouti à une politique de contrôle d’ampleur des établissements privés. Cela devrait nous inspirer.
L’enseignement privé doit donc être contrôlé, qu’il soit sous contrat ou hors contrat et quelle que soit la confession de l’établissement concerné. L’exemple récent du lycée Averroès de Lille a montré que la puissance publique pouvait se montrer particulièrement pugnace et prompte à réagir quand elle le décidait… et ce malgré les objections de la justice. L’État doit se donner les moyens de traiter équitablement tous les établissements sans céder aux poussées réactionnaires de l’extrême-droite et d’une partie radicalisée de la droite dite républicaine.
Pour l’UNSA Éducation, cette commission d’enquête doit constituer un tournant et permettre la mise en œuvre de véritables mesures concrètes pour protéger notre jeunesse.
Par ailleurs, il s’agit pour l’État de reprendre la main pour ce qui relève de l’enseignement privé. Il ne saurait faire preuve d’autant d’autonomie et continuer à échapper aux contrôles. Cette exigence est d’autant plus indispensable au regard du lourd financement public dont il dispose.
Dans les faits, certains établissements y sont confrontés, contrairement aux établissements privés catholiques. La laïcité qui irrigue notre pacte républicain exige la neutralité de l’État et l’égalité de tous devant la loi. Notre République ne saurait tolérer le spectre du poison de la suspicion du deux poids, deux mesures.
En définitive, avant même la loi de séparation de 1905, la laïcisation de l’école dans les années 1880 avait montré le chemin et instauré le primat de l’école publique laïque. Elle doit bénéficier de tous les égards et des moyens nécessaires à son développement pour l’émancipation de notre jeunesse.